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Le pendule, l’Église et la divination : une histoire plus nuancée qu’on ne le croit ...

L’Église et la divination : cadre doctrinal


  • Antiquité tardive – Pères de l’Église. Augustin condamne systématiquement les arts divinatoires (amu­lettes, incantations, « consultations » avec démons, etc.), qu’il range parmi les superstitions païennes : De doctrina christiana II, notamment sur les amulettes et « cures » que l’art médical réprouve, et De divinatione daemonum où la « voyance » est attribuée aux démons, non à Dieu. (ntslibrary.com, roger-pearse.com)

  • Théologie scolastique. Thomas d’Aquin traite la divination comme une espèce de superstition (II-II, q. 95). Cette section devient une référence canonique médiévale et moderne. (newadvent.org)

  • Formulation canonique médiévale. Le Canon Episcopi (ixᵉ–xᵉ s., repris par Gratien) ordonne d’éradiquer « l’art pernicieux de la divination et de la magie » et dénonce les croyances populaires (chevauchées nocturnes, etc.). (fr.wikipedia.org)

  • Catéchisme contemporain. La position reste inchangée : « Toutes les formes de divination sont à rejeter » (CEC §2116). (Archives - Pas-de-Calais le Département)


Conclusion doctrinale : de l’Antiquité tardive à aujourd’hui, la divination est tenue pour illicite ; le débat porte rarement sur la définition morale, mais sur l’identification concrète des pratiques incriminées.


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Chronologie de la suspensio anuli (anneau/objet suspendu)


I. Antiquité tardive (IIIᵉ–Vᵉ s.)


  • Pratique attestée : un anneau suspendu au-dessus d’une table marquée de lettres pour épeler des réponses. Le témoignage le plus détaillé se trouve chez Ammien Marcellin (IVᵉ s.) qui décrit des devins composant des hexamètres grâce à un anneau bondissant de lettre en lettre ; interrogés sur le futur empereur, l’anneau touche « ΘΕΟ… ». (penelope.uchicago.edu)

Résumé (traduit) : « L’anneau, franchissant les intervalles, tombait sur des lettres qui le retenaient, formant des hexamètres répondant aux questions (…) ». (SENTENTIAE ANTIQUAE)

  • Contextes magico-religieux plus larges. Les Sortes (tirages, alphabets, dés, livres d’oracles) et autres mantiques sont extrêmement répandus à la même époque ; ils nourrissent la tradition à laquelle la suspensio anuli appartient. (bmcr.brynmawr.edu)


II. Haut Moyen Âge (VIᵉ–XIᵉ s.)


  • Encyclopédie d’Isidore de Séville (Etymologiae) : classe les différentes « -mancies » au rang des artes magicae et sert de relais majeur de la taxonomie chrétienne des divinations dans tout l’Occident médiéval. (Texte latin et traduction de référence.) (penelope.uchicago.edu, is.muni.cz)

  • Pastorale et pénitentiels. Les manuels de pénitence et collections canoniques (p. ex. Burchard de Worms, Corrector sive medicus, c. 1008–1012) sanctionnent des pratiques de type divinatoire (tirages, interrogations par objets, etc.), témoignant de leur présence sociale et de la volonté d’éradication ecclésiale. (maes.unibo.it)


III. Bas Moyen Âge et début époque moderne (XIIᵉ–XVIᵉ s.)


  • Diversification iconographique et rituelle. Les systèmes de sortes (tables/alphabets, dés) sont abondamment illustrés (ex. Sortes sanctorum, St John’s College MS 17, avec vues en ligne via la Bodleian et McGill), analogues dans la logique manticque à l’anneau suspendu. (clerus.org)

  • Traités anti-magiques. Les grandes sommes (p. ex. Del Rio, Disquisitiones magicae, 1599–1600) condamnent explicitement les divinations mécaniques (sonner les lettres, hydromancie à l’anneau, etc.), prolongeant l’anti-superstition médiévale. (Brill)


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Pratiques, croyances, répression : panorama


Pratiques & croyances


  • Finalité : connaître la volonté divine/le futur, identifier des coupables, trancher des questions (oui/non) ou épeler des mots (Ammien). (penelope.uchicago.edu)

  • Écosystème mantique : bibliomancie, sortes, hydromancie (anneau frappant un bol), alphabets oraculaires. (Exposé antiquaire sur l’anneau suspendu : Peucer, relayé par des compilations modernes.) (Project Gutenberg)


Répression ecclésiale (repères)


  • Antiquité tardive : condamnation doctrinale (Augustin). (ntslibrary.com)

  • Moyen Âge : canons (Canon Episcopi), pénitentiels (Burchard), puis codifications (Gratien) : la divination est illicite, liée au démon, et passible de pénitence/exclusion. (fr.wikipedia.org, maes.unibo.it)

  • Époque moderne : consolidation doctrinale (Aquin), littérature anti-magique (Del Rio), procédures judiciaires locales variant selon temps et lieux. (newadvent.org, Brill)


Ambiguïtés et accommodements


  • « Christianisation » de pratiques divinatoires. Phénomène d’adaptation plutôt que de validation : les sortes sanctorum remplacent des oracles païens par des formules chrétiennes, mais restent suspectes dans la théorie. Les témoins manuscrits médiévaux (Bodleian/McGill) montrent ces instruments « christianisés ». (clerus.org)

  • Censure et expurgation. Plutôt que tout interdire, les autorités (surtout en Espagne) ont parfois expurgé des passages jugés dangereux : l’Index expurgatorius de l’Inquisition espagnole (ex. 1584) est un outil officiel pour corriger des ouvrages sans les proscrire entièrement — cadre général expliquant la circulation de versions « expurgées » d’écrits jugés ésotériques. (Wikipédia)


Point clé : ces « zones grises » portent sur des formes chrétiennes de sortes ou sur l’édition de livres ; elles n’impliquent pas une acceptation officielle du pendule.


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De la radiesthésie « moderne » au pendule : science, clercs et Rome


Chevreul et l’« effet idéomoteur »


  • 1854, Michel-Eugène Chevreul (De la baguette divinatoire, du pendule dit explorateur…) explique les réponses du pendule par des micro-mouvements inconscients du sujet : jalon majeur pour l’explication non-mystique des oscillations. (archive.org)


Prêtres radiesthésistes et popularisation (fin XIXᵉ–XXᵉ s.)


  • Abbé Henri-Justin Bouly (1865–1958). Prêtre du Pas-de-Calais, vulgarisateur central ; on lui attribue la popularisation du mot « radiesthésie » et la fondation d’associations (ULR/Association française, années 1920–30). Notice biographique et archives municipales. (iapsop.com)

  • Abbé Alexis Mermet (1866–1937). Auteur très influent (La radiesthésie, éd. 1935/1939) ; son traité systématise usages du pendule et de la baguette (diagnostic, recherche d’eau, etc.). Édition numérisée ; il est abondamment cité dans le milieu radiesthésiste. (Livre Rare Book)

  • Rayonnement catholique “par le bas”. Des ouvrages destinés à des publics catholiques (p. ex. J.-L. Bourdoux, Notions pratiques de radiesthésie pour les missionnaires, 1935/1946) montrent un intérêt pratique dans certains milieux ecclésiastiques, tout en restant en tension avec la doctrine universelle sur la divination. (amazon.fr)


La réaction romaine (XXᵉ s.)


  • Saint-Office, 26 mars 1942. Décret interdisant aux clercs de se livrer à des consultations de radiesthésie (formulation récapitulée dans les répertoires officiels). Ce point montre une mise au clair disciplinaire au moment même où la radiesthésie gagne en popularité. (Magnus Lundberg)

  • Position doctrinale actuelle : la divination est prohibée (CEC §2116). L’usage éventuel d’un pendule comme simple instrument physique sans prétention divinatoire n’est pas visé par le Catéchisme ; c’est l’intention divinatoire (ou d’accès à une « connaissance cachée ») qui pose problème moralement. (Archives - Pas-de-Calais le Département)


Ambiguïté réelle mais limitée : des prêtres, individuellement, ont promu la radiesthésie (Bouly, Mermet) et certains milieux catholiques ont cherché à l’« encadrer », mais la ligne officielle condamne toute prétention manticque. La discipline de 1942 vise explicitement les clercs consultés comme radiesthésistes.


Repères—citations et passages clefs


  • Ammien Marcellin (IVᵉ s.) : description canonique de l’anneau suspendu épelant des réponses (Res gestae XXIX, 1). (penelope.uchicago.edu)

  • Augustin : De doctrina christiana II (contre amulettes, incantations, « consultations »), De divinatione daemonum (les démons donnent l’apparence de divination). (ntslibrary.com, roger-pearse.com)

  • Canon Episcopi : « éradiquer » divination/magie des paroisses (texte repris par Gratien). (fr.wikipedia.org)

  • Thomas d’Aquin : II-II, q. 95, De superstitione in divinationibus. (newadvent.org)

  • Chevreul (1854) : analyse expérimentale du pendule (effet idéomoteur). (archive.org)

  • Décret du Saint-Office (1942) : interdiction disciplinaire faite aux clercs concernant les « consultations » de radiesthésie. (Magnus Lundberg)

  • Bouly / Mermet : piliers de la popularisation contemporaine. (iapsop.com, Livre Rare Book)

En bref

  • La pratique de l’anneau suspendu est solidement attestée dès l’Antiquité tardive (Ammien).

  • La doctrine chrétienne a constamment condamné la divination (Augustin → Aquin → Catéchisme).

  • Au XXᵉ siècle, alors que des prêtres (Bouly, Mermet) popularisent la radiesthésie, Rome resserre la discipline (Saint-Office 1942).


Les ambiguïtés tiennent à des adaptations (p. ex. sortes « christianisées », livres expurgés) et à des initiatives individuelles, non à une acceptation officielle du pendule divinatoire


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Chronologie


1) Antiquité tardive (IIIᵉ–Vᵉ s.) — suspensio anuli attestée

  • Ammien Marcellin décrit des devins suspendant un anneau au-dessus d’une table marquée de lettres ; l’anneau « saute », épelle des réponses métriques, et touche « ΘΕΟ… » quand on demande le nom du futur empereur. C’est la description antique la plus précise du procédé. (penelope.uchicago.edu)

  • L’iconographie des PGM (papyri magiques grecs) illustre le contexte rituel (magie, divination, invocations) dans lequel ce type de pratiques s’inscrit.


2) Moyen Âge — condamnations et pratiques « christianisées »


  • Cadre canonique : le Canon Episcopi (Xe s., repris par Gratien) ordonne d’éradiquer « l’art pernicieux de la divination et de la magie » des paroisses. Ce texte devient une référence de la discipline ecclésiastique médiévale. (Wikipédia)

  • Pratiques : les sortes (tirages/alphabets) circulent chez des laïcs et des clercs malgré les interdits ; des témoins manuscrits comme St John’s MS 17 montrent des diagrammes et tables divinatoires ; on y voit très bien l’outillage graphique analogue aux dispositifs de « questionnement par lettres ».


3) Temps modernes (XVIᵉ–XVIIᵉ) — taxinomies et polémique


  • Les grands traités (p. ex. Del Río, Disquisitiones magicae) rangent les « -mancies » (y compris les procédés mécaniques qui frappent des lettres ou un récipient) au registre des superstitions à proscrire. (Cambridge University Press & Assessment)

  • Côté iconographie, Vallemont (1693) popularise la baguette et montre plusieurs manières de la tenir (gravures souvent reprises). Même si ce n’est pas le pendule, c’est la même famille de radiesthésie populaire qui fera l’objet d’encadrements ecclésiaux à l’époque moderne.


4) XIXᵉ siècle — explication « idéomotrice »


  • Michel-Eugène Chevreul (1854) teste baguette et pendule « explorateur » et attribue les oscillations aux micromouvements involontaires du sujet (effet idéomoteur), jalon majeur pour une lecture non mystique du phénomène.


5) XXᵉ siècle — prêtres radiesthésistes & rappel disciplinaire


  • Des prêtres (ex. abbé Mermet) vulgarisent la radiesthésie (pendule, baguette) et publient des manuels très diffusés ; l’iconographie de presse le montre volontiers pendule en main.

  • Rome intervient : le 26 mars 1942, le Saint-Office ordonne aux Ordinaires d’interdire aux clercs et religieux les consultations radiesthésiques visant à deviner des faits ou circonstances concernant des personnes (avec peines possibles). Cette note ne statue pas sur la recherche « scientifique » en soi, mais ferme la porte aux usages divinatoires pastoraux. (clerus.org)

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