Le pendule : d’un objet suspect à un révélateur de mondes invisibles
- sebastien-mahier
- 1 sept.
- 5 min de lecture

De la peur à la curiosité : la dédiabolisation du pendule
Longtemps, les objets oscillants – anneaux, baguettes ou pendules – furent regardés avec méfiance. Dans l’Antiquité tardive, on les associait à des pratiques oraculaires : un anneau suspendu pouvait, disait-on, « épeler » les réponses des dieux. Le Moyen Âge et l’époque moderne ont ensuite maintenu un discours de condamnation, voyant dans ces instruments un commerce avec des puissances occultes.
Mais à partir du XVIIᵉ siècle, un changement de regard s’opère. Des savants commencent à tester ces objets dans un esprit d’expérimentation. Le pendule cesse d’être seulement l’instrument d’un oracle : il devient un instrument d’observation, capable de réagir à des forces invisibles ou de révéler les subtilités de la psyché humaine. C’est le début d’un long processus de dédiabolisation, où l’objet est déplacé du registre du soupçon vers celui de la curiosité scientifique.
Des jalons décisifs : de la philosophie naturelle à la science

Kircher et l’âge baroque (XVIIᵉ siècle)
Le jésuite polymathe Athanasius Kircher (1602–1680) illustre bien cet entre-deux. Dans son Mundus Subterraneus (1665), il explore les forces cachées de la Terre – volcans, flux d’eau, magnétisme. Pour lui, le pendule est un explorateur universel : en géologie, il pourrait révéler les circulations souterraines ; en médecine, il pourrait diagnostiquer les déséquilibres du corps. Chez Kircher, le pendule n’est ni diabolique ni neutre : il est philosophico-naturel, un médiateur entre visible et invisible.
Gray et les premières forces naturelles (XVIIIᵉ siècle)
En 1730, le physicien anglais Stephen Gray (1670–1736) remarque qu’un corps suspendu à un fil est attiré par une masse électrisée. Ici, le pendule devient une preuve de l’électrostatique. On entrevoit qu’un objet si simple peut se faire le révélateur de phénomènes naturels.

Chevreul et l’effet idéomoteur (XIXᵉ siècle)
Un siècle plus tard, le chimiste Michel-Eugène Chevreul (1786–1889) s’attaque à la baguette et au pendule « explorateur ». Ses expériences (1854) sont décisives : il montre que les oscillations ne viennent pas d’un fluide mystérieux, mais de micro-mouvements inconscients du sujet. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui l’effet idéomoteur.
Ce résultat inaugure une lecture psychophysiologique du pendule : l’objet n’est pas « animé » par une force extérieure, mais prolonge les intentions et images mentales de celui qui l’utilise.

Foucault et le pendule scientifique
En parallèle, le physicien Jean-Bernard Foucault (1819–1868) utilise le pendule pour démontrer la rotation de la Terre. Ici, le pendule devient un instrument de preuve scientifique : il montre qu’un objet oscillant peut servir autant à sonder l’inconscient qu’à dévoiler les lois de l’univers.
Formalisation mathématique
À la fin du XIXᵉ siècle, l’équation du pendule est formalisée : la relation entre longueur, gravité et période permet de calculer son mouvement. Le pendule devient un outil de précision, utilisé pour réguler les horloges.
La radiesthésie moderne : entre ambition scientifique et popularisation

Bouly et la naissance du mot
À la fin du XIXᵉ siècle, deux abbés, Bayard et surtout Alexis Bouly (1865–1958), popularisent le pendule sous une bannière nouvelle : radiesthésie (1929), du latin radius (« rayon ») et du grec aisthesis (« sensation »).
Étymologie : un mot qui contient déjà un mode d’emploi
Le choix du mot radiesthésie n’est pas anodin. Il fusionne deux racines :
radius (latin) = rayon
aisthesis (grec) = sensation
➡️ Littéralement : « la sensibilité aux rayons ».
Ce terme marque une rupture. Il permet de dédiaboliser la pratique en l’ancrant dans le registre de la perception et de la physique. En nommant la pratique « sensibilité aux rayons », Bouly oriente immédiatement l’imaginaire :
le pendule ne « prédit » pas, il capte ;
l’opérateur ne « devine » pas, il ressent ;
le geste n’est pas magie, mais perception subtile.
Cette étymologie agit comme un mode d’emploi implicite : elle invite à concevoir la pratique comme une expérience de réception d’ondes, de perceptions fines, et d’attention au mouvement et au rythme du pendule — un peu comme l’apprentissage d’un nouveau langage.
Mermet et la codification

L’abbé Mermet (1866–1937) joue un rôle clé en vulgarisant la radiesthésie. On lui attribue la création du pendule à témoin (où l’on insère un échantillon de la substance recherchée). Il développe aussi la téléradiesthésie : la détection à distance sur cartes, plans ou photographies. Ses manuels, largement diffusés, donnent des protocoles et des « conventions mentales » qui standardisent la pratique.
Une pratique institutionnalisée
En 1904, le sourcier Grisey découvre les gisements de potasse d’Alsace et en estime la profondeur (400 m). Ce succès confère une notoriété publique à la radiesthésie.
En 1911, un premier congrès des sourciers se tient à Hanovre.
Pendant la Première Guerre mondiale, l’armée française recourt à des radiesthésistes pour localiser de l’eau sur le front. Bouly lui-même participe. Mermet montre que l’on peut pratiquer sur plans ou photos, ouvrant la voie aux recherches « en aveugle ».
Figures et héritiers
Aux côtés de Bouly et Mermet, d’autres noms marquent l’histoire :
Henri de France (1872–1947), expérimentateur dans l’industrie.
Joseph Treyve (1877–1946), spécialiste de la prospection à distance.
Yves Rocard (1903–1992), physicien, qui tente de donner une explication électromagnétique.
Étienne Guille, biologiste, appliquant la radiesthésie au vivant.
Les différentes approches et leurs implications
1. Psychophysiologique
Héritière de Chevreul : le pendule traduit des micro-mouvements involontaires liés à l’attention, aux attentes et aux images mentales.
Implication : le pendule agit comme un miroir du psychisme, outil projectif plus que détecteur.
2. Énergétique
Défendue par des radiesthésistes comme Bouly, Mermet, Rocard : le pendule capterait des rayonnements subtils (ondes, champs telluriques, électromagnétiques).
Implication : postule un domaine encore non reconnu par la physique classique. Sert à légitimer les applications en hydrologie, géologie, médecine.
3. Symbolique / cognitive
Le pendule comme outil de médiation intérieure : il permet d’extérioriser une intuition, de mettre en scène une décision, d’incarner l’inconscient collectif.
Implication : sa valeur est dans le sens qu’il produit, non dans une efficacité mesurable.
4. Socio-culturelle
Le pendule comme objet fédérateur : il crée des communautés (congrès, associations), des pratiques partagées (planches, conventions), et une culture parallèle entre science, ésotérisme et spiritualité.
Implication : il est aussi un fait social total, révélateur des imaginaires d’une époque.

Conclusion : un objet-miroir
En trois siècles, le pendule est passé :
d’objet suspect, connoté démoniaque ;
à instrument scientifique (Chevreul, Foucault) ;
à outil radiesthésique structuré et institutionnalisé (Bouly, Mermet, Rocard) ;
à interface plurielle aujourd’hui, interprétée tour à tour comme révélateur psychologique, capteur énergétique, médiateur symbolique ou objet culturel.
👉 Plus qu’un simple objet oscillant, le pendule est un miroir des conceptions invisibles de chaque époque : forces occultes hier, micro-mouvements et champs aujourd’hui, symboles ou projections demain.


Commentaires